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Une politique de la forme / Lili Reynaud Dewar* - 2005 « Des tas de théories ont essayé de briser la frontière entre l’art et le monde, mais je ne trouve pas ces tentatives particulièrement significatives. Je considère vraiment mon travail comme compatible avec une philosophie de l’art pour l’art. Certains pensent que j’essaie d’amener l’objet d’art vers le monde extérieur parce que mes pièces semblent avoir une fonction pratique. En réalité, c’est tout l’inverse. Les objets du monde extérieur peuvent, dans certaines circonstances particulières, entrer dans le champ de l’art. (1) » Carole Manaranche a commencé par peindre des formes abstraites et colorées sur des plaques de bois, des géométries troubles et imbriquée aux tonalités vives, sans appeal particulier, sans souci de séduire ou de captiver, sans sophistication visuelle. Dans ses peintures, il y avait ce principe d’honnêteté qu’on trouve aujourd’hui dans ses sculptures, cette manière de se poser cash, d’affirmer les caractéristiques formelles d’un objet sans les sublimer, et inversement sans les escamoter. Avec Les encombrants, elle adopte une méthodologie faite de nécessités pratiques et de rigueur formelle : elle sélectionne des rebus trouvés dans la rue (en général du mobilier), les agence, leur fait subir un traitement, les expose (en général groupés). La première partie de cette série d’œuvres convoquait délibérément la peinture, les encombrants faisaient en général l’objet d’un coffrage plutôt brutal, mais travaillé avec des glacis, des pigments et autre technique empruntées au champ pictural. La suite engendre des matériologies standard, évoquant l’univers du Do it Yourself que celui de la peinture académique : chaises, tabourets, planche à repasser, matelas, etc…sont recouverts d’une épaisse couche de plâtre ou de mousse polyuréthane, parfois peints à la bombe ou à la peinture glycérophtalique. La couleur, vive, éclatante, chimique, est prépondérante. Elle a plusieurs fonctions : Effacer tout pathos, toute trace de nostalgie quand à l’abandon dont ces articles de consommation, autrefois objets de désir, sont victimes, ôter toute velléité narrative de ces sculptures, les ‘abstraire’ complètement, nier leur nature fonctionnelle en les ‘formalisant’, et enfin, affirmer l’ancrage de ce travail dans la basse culture, exagérer, grossir ses traits ‘populaires’. « je crois que la relation au pop art passe depuis très longtemps par les conditions ordinaires que j’ai fixées : la rue, la ville, les grandes surfaces, la couleur.(2) » disait récemment Anita Molinero, qui elle aussi a commencé par ‘s’attaquer’, pour reprendre une de ses expressions qu’elle incarne si bien, à des objets trouvés dans la rue, et avec laquelle la filiation est évidente, tant pour des questions idéologiques que méthodologiques. Il est particulièrement frappant de voir comment Carole Manaranche, avec un minimum de moyens qui confine à l’ascétisme, arrive à fusionner de manière synthétique des termes à priori contradictoires : la peinture ET la sculpture, Fluxus ET le formalisme, l’art minimal ET le surréalisme, l’art pop français, tendance nouveaux réalisme ET l’art informel…l’origine de ces objets c’est le centre commercial, leur destination final, c’est la poubelle, avec un transit, au vu de leur caractère ‘encombrant’, par la rue. Soit des lieux d’agrégation populaire ‘par le bas’. Les faisant entrer dans l’atelier puis dans les lieux d’art, Carole Manaranche ne fait pas que contrarier leur ‘devenir décharge’ (lieu plus que bas, quasi nul). En les figeant ( littéralement, puisqu’ils sont en général durcis, médusés, par les traitements de surface qu’elle leur fait subir) et en les combinant de manière à ce qu’ils soient tout à fait afonctionnels, elle change radicalement leur statut, les tire vers le ’haut’ académique. Cette confrontation de la basse culture de la rue, du déchet, du quotidien, du banal et de la haute culture de l’art et du formalisme est éminemment politique, et c’est cette ’politique de la forme’ que le vaste projet des Encombrants développe de façon exponentielle et autonome. (1) Franz West, A Thousand Words –includes related article on the audience impact of Franz West’s Art- Mixed Media Art, Artforum, février 1999. (ma traduction) (2) Anita Molinero, Entrrtien avec Sophie Legrandjacques, juin 2004. Cat. monographie de l’artiste, p.79, 2005. *Calalogue de l’exposition « Les enfants du Sabbat 7 », Ed.Creux de l’enfer, coédité avec l’Ecole des Beaux Arts de Clermont Communauté et l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Lyon, 2005 LES ENCOMBRANTS, texte de Lili Reynaud Dewar* La série photographique des Encombrants de Carole Manaranche ressemble à ses sculptures éponymes, dénuée de tout pathos, de toute préciosité ( elle est l’objet d’un slide show pléthorique plutôt qu’une sélection de tirages sophistiqués). Ici, un tas d’ordinateurs empilés, là, une chaise de bureau à cheval sur le trottoir et la voie, ailleurs, un canapé en équilibre…c’est l’aspect formel de ces situations trouvées qui intéresse Carole Manaranche, pas leur potentiel narratif. Mais si le constat est neutre, c’est surtout parce qu’il est le témoignage d’une méthodologie qui dépasse le désir de faire de « belles images ». C’est une question de nécessité, pas une question d’esthétique, qui en est le préambule. Les sculptures corroborent cette idée, et viennent tout à la fois compléter et transfigurer le réel cru de la série photographique. Imbriqués, agencés, emboîtés, redoublés, le Encombrants sculpturaux sont défigurés, méconnaissables, afonctionnels, et rappellent plus d’étranges combinaisons anthropomorphiques que des éléments de mobilier. Cloqués, englués, empâtés, ils n’en affirment pas moins leur évidence claire et aguicheuse de monochromes fluo et leur provenance du domaine de la consommation courante. Pour Carole Manaranche, il serait impensable de les présenter isolés, il faut qu’ils soient un certain nombre, qu’ils dénigrent en se regroupant le fétichisme de l’œuvre d’art et son formalisme. Surtout, ils témoignent du caractère exponentiel du projet des Encombrants, de son enracinement dans une durée qui dépasse à elle seule toute réussite formelle, et ramène ces sculptures au plus prés d’une dynamique vivante et délestée. * Catalogue de l’exposition « Les enfants du Sabbat 7 », Ed. Creux de L’enfer, coédité avec l’Ecole des Beaux Arts de Clermont Communauté et l’Ecole Nationale de Lyon.

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